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« Let’s Play » : s’amuser en regardant d’autres personnes jouer 


On appelle communément « Let’s Play » une vidéo qui documente une session de jeu vidéo  en se focalisant sur le point de vue du joueur et sur ses réactions face au jeu. Subjectivité, spontanéité et partage d’émotions sont au centre de ce concept qui mise sur l’humour pour divertir les spectateurs.

L’idée n’est pourtant pas nouvelle. A l’époque où Internet n’était pas encore présent dans les foyers, il existait déjà des émissions de télévision où les animateurs jouaient et commentaient en direct, notamment sur la chaîne française Game One. Mais c’est avec la démocratisation du web et l’apparition de plateformes d’hébergement de vidéos que le phénomène « Let’s Play » a véritablement gagné en popularité.

Youtube et ses stars

Avec plus de 40 millions d’abonnés sur sa chaîne de vidéos, le suédois Felix Kjellberg, dit « PiewDiePie » est l’une des stars incontestées de YouTube. Ce succès, il le doit à la popularité de ses séquences « Let’s Play »  – sa chaîne en compte plus de 2800 – qu’il publie presque quotidiennement depuis 2010. Ses réactions souvent excessives, ses plaisanteries et son langage « fleuri » sont devenus une vraie marque de fabrique et ont fait de lui une star auprès des ados. En effet, d’après un sondage effectué en 2014 par le magazine Variety, il serait la troisième personnalité préférée des jeunes américains de 13 à 18 ans, tout média confondu. Âgé de 26 ans, le jeune homme a su tirer des revenus substantiels de sa passion. On estime ses gains annuels à plusieurs millions de dollars.

Si « PiewDiePie » affiche un succès inégalé à ce jour, il n’est pas le seul youtuber à surfer sur la tendance du « Let’s Play ». Le français Lucas Hauchard, dit « Squeezie » dispose lui aussi d’une forte popularité sur la plateforme de vidéo, avec plus de 6 millions d’abonnés. Tout comme son comparse suédois, il doit principalement son succès à ses séquences filmées de jeux vidéo. La popularité du concept a également amené à l’émergence de nombreux collectifs, tels que les « Game Grumps » qui invitent régulièrement des personnalités ou des membres de leur entourage à participer à leurs séquences.

Twitch et le « Live Streaming »

L’émergence de Twitch en 2011 a vu l’apparition d’une alternative à YouTube pour les amateurs de « Let’s Play ». Twitch se présente en effet comme une plateforme de diffusion entièrement dédiée aux jeux vidéo, avec une focalisation particulière sur les sessions en direct (Live Streaming). Chaque mois, plus d’un million de joueurs diffusent ainsi leurs parties de jeux vidéo, permettant à Twitch de réunir plus de 100 millions de spectateurs uniques. La plateforme offre la possibilité au public d’interagir en temps réel avec le joueur, via un chat intégré, renforçant ainsi l’aspect social et communautaire et reléguant même parfois le jeu au second plan. Bien que l’aspect compétitif et la démonstration de compétences soient des éléments centraux, le caractère plus léger et humoristique qui entoure le concept « Let’s Play » est également fortement présent dans les séquences diffusées.

Les risques et les dérives

Cette nouvelle forme de divertissement s’accompagne tout de même de quelques dérives qui nécessitent une certaine vigilance.

En premier lieu se pose la problématique d’un contenu qui peut parfois être inadapté aux plus jeunes spectateurs. En effet, les jeux vidéo violents, effrayants ou « gores » font très souvent l’objet de séquences « Let’s Play ». On peut citer le cas de la chaîne YouTube de « PewDiePie », qui, malgré une forte popularité auprès des jeunes adolescents, ne limite pas ses vidéos à des jeux tout public et tourne régulièrement des séquences sur des jeux violents, recommandés à un public adulte. La question se pose également sur la plateforme Twitch. Celle-ci a, d’ailleurs, décidé de bannir certains jeux dont le contenu est jugé trop problématique, notamment, en raison d’une violence extrême et d’images sexuellement explicites. La plateforme autorise tout de même les jeux classés « matures » (non recommandés au moins de 17 ans) par l’organe nord-américain ESRB. Il existe également une option permettant au joueur d’indiquer à son audience que le jeu qu’il diffuse est destiné à un public adulte, mais cette mention n’est qu’un simple avertissement et ne permet pas d’interdire l’accès aux mineurs.

Twitch doit également faire face à une autre forme de dérives. Plusieurs cas de « streamer » apparaissant nus ou dans des tenues suggestives ont été signalés, ce qui a poussé l’entreprise à exiger une tenue correcte pour les créateurs de contenu.

Autre constat : de nombreux streamer et youtuber subissent régulièrement des insultes, des remarques haineuses et du harcèlement. Pour tenter de limiter le phénomène, Twitch propose toute une gamme de solutions : bannissements d’utilisateurs ayant un comportement inapproprié, possibilité de désigner des modérateurs pour épauler le streamer ou encore création d’une liste de mots-clés à censurer dans les espaces de discussions. Sur YouTube, le créateur de contenu à la possibilité de signaler un utilisateur, de supprimer un commentaire ou même de bloquer l’ajout de commentaires associés à l’une de ses vidéos. Cette dernière solution a parfois été utilisée par des youtubers très populaires,  notamment « PewDiePie », en réaction à d’importants flots de commentaires insultants.

On peut également relever un autre phénomène problématique lié au Live Streaming : le « swatting ». Il s’agit d’une forme extrême de canular consistant à envoyer la police sous un faux prétexte (par exemple des coups de feu) à l’adresse d’une personne en train de réaliser une diffusion, dans le but d’assister, en direct, à l’intervention policière. Si aucun cas n’a été officiellement reporté en Suisse, le phénomène est bien présent outre-Atlantique et inquiète les autorités.

Un succès auprès des jeunes

Malgré les quelques dérives constatées, le concept du « Let’s Play » a su gagner la ferveur du public et principalement des jeunes internautes qui raffolent de cette nouvelle manière d’envisager les jeux vidéo.

Le succès du phénomène s’explique en grande partie par sa nature communautaire. En effet, les stars les plus populaires, telles que « PewDiePie » ou « Markiplier », consacrent une part importante de leurs activités à répondre aux commentaires, à produire des vidéos de questions-réponses et à remercier leurs fans. Cette interaction est encore plus poussée dans le cas de « Live Streaming » où le joueur peut communiquer en direct avec son public et donc adapter à tout moment son « spectacle ».

Divertissement, partage et proximité font donc partie intégrante de ce phénomène qui, en ce sens, s’inscrit parfaitement dans les pratiques numériques de la nouvelle génération.