Pendant 3 jours, j’ai pu partager le quotidien de l’équipe prévention d’Action Innocence qui, chaque année, mène plus de 1400 interventions dans les écoles de Suisse Romande. En voici le récit.
Images : Thierry Parel
St-Légier-La Chiésaz
Mon parcours débute à St-Légier-La Chiésaz, un joli village vaudois entre lac et montagne. J’assiste à une intervention « Ze Monstres du Net », menée par Manon, dans une classe de 5ème année (8-9 ans). Le principe de l’outil de prévention « Ze Monstres du Net » est d’engager la discussion sur les risques liés à l’utilisation des TIC en présentant aux enfants une petite histoire où deux héros combattent des monstres qui symbolisent divers dangers que l’on peut rencontrer sur la toile. Comme toujours lors des interventions d’Action Innocence, les élèves sont encouragés à exprimer leurs points de vue et à partager leurs expériences.
Malgré le jeune âge des participants, je constate qu’ils ont déjà les deux pieds dans le monde numérique. Lorsque les intervenants posent les questions d’usage : « qui a Internet à la maison ? », « qui a une tablette », « qui a une console de jeu » ou encore « qui joue à des jeux vidéo en ligne ? », c’est une véritable marée de mains qui se lève. La suite de l’intervention confirme cette impression : je suis en présence d’enfants très connectés et qui ont déjà acquis de nombreuses compétences. Ainsi, quand Manon montre l’image d’un chat ayant la taille d’un pouce, ils comprennent d’emblée qu’il s’agit d’une image truquée.
Vient le moment du passage en revue des monstres. Celui qui illustre la thématique des images choquantes soulève particulièrement l’attention. Plusieurs enfants témoignent avoir déjà été en présence d’images qui les ont mis mal à l’aise ou les ont effrayés. Les élèves sont donc particulièrement appliqués lors du mini-jeu consistant à choisir quelles sont les bonnes attitudes à avoir lorsque l’on est confronté à des images choquantes et leurs réponses sont toutes pertinentes, même si Manon doit apporter quelques rectifications.
Tout au long de cette heure et demie, les enfants ont fait preuve d’une grande implication et ont montré un réel intérêt à partager leurs expériences. Ils ont posé de nombreuses questions et n’ont pas hésité à exprimer leurs opinions.
Lausanne
Prochaine destination : la capitale vaudoise pour un « Atelier ados » animé par Sara dans une école privée du centre-ville. Le public est ici composé d’adolescents de 11ème année (14-15 ans).
Si la classe semble quelque peu léthargique lors des premières minutes, les propos de Sara et les nombreuses anecdotes qu’elle expose vont très vite captiver les élèves et les pousser à s’exprimer sur les sujets abordés. « Tout le monde est tout le temps sur son portable, c’est un truc de fou … » lance une fille lorsque l’on aborde la question de l’hyper-connectivité. Un constat largement partagé par ces élèves qui sont – sondage à l’appui – tous des utilisateurs assidus de smartphone. Comme je le constate tout au long de l’intervention, ils portent un regard lucide, voire même parfois critique envers leurs propres usages des technologies, comme cette fille jeune qui regrette de passer autant de temps à jouer à Candy Crush.
L’atelier intègre un exercice consistant à laisser les élèves remplir les « bulles » d’une BD qui illustre la problématique de la diffusion de photos intimes. Celle-ci provoque de nombreuses réactions, preuve que le sujet touche particulièrement les jeunes. « Dans mon ancien collège, toutes les semaines, une nouvelle photo d’une fille nue de l’école circulait » lance ainsi une élève. Un problème commun et qui peut avoir des conséquences à long terme, comme le témoigne une autre élève dont une amie continue à subir, deux ans après les faits, des remarques désobligeantes à propos d’une photo d’elle nue qui a fuité sur Internet. Les élèves déplorent, par ailleurs, une vraie inégalité des sexes face à cette question, les filles étant beaucoup plus stigmatisées que les garçons lorsque des photos intimes sont diffusées.
L’intervention se termine donc sur une discussion riche avec des adolescents faisant déjà preuve de maturité et de recul face à leurs pratiques.
Clarens
C’est au pied des vignes, dans un établissement de Clarens dans le canton de Vaud que je poursuis ma route. Cet après-midi, Action Innocence organise un spectacle « Ze Mots du Net » pour trois classes de 10ème année (13-14 ans). Le concept de cette intervention est de se servir du théâtre d’improvisation comme support à un message de prévention. Un temps de discussion est également prévu après la représentation. Trois comédiens, Katia, Eric, et Sébastien assurent le spectacle pendant que Youcef et Fanny assument les rôles de maîtres de cérémonies. Les acteurs improvisent des saynètes centrées sur les risques liés à l’utilisation des outils numériques avec pour base une liste de mots, choisis par le public, que les comédiens doivent prononcer au moins une fois durant leur improvisation.
Pendant près d’une heure, nos trois comédiens se déchainent sur scène, pour le plus grand plaisir du public. En quatre sketchs, les thématiques du droit à l’image, du cyberharcèlement ou encore de la pratique excessive des jeux vidéo sont abordés dans des situations humoristiques mais suffisamment réalistes pour que les enfants se sentent concernés. Chaque saynète est entrecoupé d’un instant de réflexion collective, mené par Youcef et Fanny. Les élèves participent volontiers et n’hésitent pas à donner leur point de vue, comme ce jeune garçon qui demande, avec une pointe de provocation, si « Hitler jouait à Call of Duty » lorsque l’on aborde la question de la violence et des jeux vidéo. Le sketch sur le cyberharcèlement capte particulièrement le public. Bien que l’attitude de la « majorité silencieuse » – qui sait ce qui se passe mais ne dit rien – est clairement réprouvée par l’audience, une jeune fille reconnait qu’il n’est pas toujours simple de dénoncer un cas, ne serait-ce que par peur des représailles. Youcef profite de cette intervention pour rappeler qu’il est possible de signaler des cas de harcèlement de manière anonyme.
Après une heure et demie intense, la discussion se conclue sur un conseil simple mais essentiel : « Réfléchissez avant de cliquer ».
St-Blaise
Pour finir, c’est autour d’un autre lac que je me rends : celui de Neuchâtel. Manon intervient dans une classe de 7ème année (10-11 ans) dans le village de St-Blaise. Elle utilise cette fois l’outil « Tim, Tam et les TIC », une bande dessinée où les protagonistes (un garçon et une fille de l’âge des élèves) sont confrontés aux risques liés à l’utilisation des TIC (images choquantes, cyberharcèlement, etc.). Le principe est de faire analyser ces situations à la classe et de donner la possibilité aux jeunes d’exposer leurs propres interprétations.
Mais avant de débuter avec la BD, place à un quizz permettant aux élèves de tester leurs connaissances du monde numérique. Les questions s’enchainent avec une participation pleine d’enthousiasme de la classe. Je constate qu’à 10-11 ans, ils ont déjà de bonnes connaissances des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), sans être toutefois des experts. Ils sont tout de même parfois très étonnés par certaines réponses. Ainsi, ils semblent surpris de constater que moins de la moitié de la population mondiale ait accès à internet, eux qui ont déjà presque tous leur propre smartphone connecté au web.
Après ce quizz, Manon enchaîne avec la bande dessinée de Tim et Tam. La première planche présente une situation où Tim et ses amis sont confrontés à des images, montrées par un camarade, qui visiblement les ont choqués. En ne montrant pas ces images mais seulement les réactions de Tim et de ses camarades, Manon laisse aux enfants la possibilité de définir eux-mêmes ce que sont des « images choquantes ». Et ils ont beaucoup d’exemples en tête : « des gens morts », « des gens brûlés de partout » ou encore « des suicides ». Il semble que de nombreux élèves aient déjà dû affronter la vue d’images violentes ou montrant de la souffrance. Pour conclure l’intervention, Manon initie une discussion sur comment l’on se sent lorsque l’on tombe sur de telles images et donne des conseils de comment réagir.
C’est donc sur cette belle après-midi que je conclue ma visite des interventions d’Action Innocence.
Patrice Cherubini
Chargé de Communication en Ligne chez Action Innocence